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UN SUPPORT ARTISTIQUE INATTENDU : LA TELECOPIE

Si le tropique du cancer a inspiré Miller, le méridien de Greenwich est à l’origine de la première oeuvre artistique par télécopie.

Depuis 1983, Stéphan Barron poursuit une démarche intéressante. Il utilise les nouvelles technologies de communication, outils que l’on pourrait croire très éloignés du monde de l’art, dans tous ses travaux de création.

Organisateur de nombreuses manifestations – en 1987 transmission transatlantique par satellite audio et télévision lente entre Thaon et New-York, en 1988 pièce pour transmission sur ordinateur entre Paris et Budapest, puis pour visioconférence artistique entre Paris et Toronto – Stéphan Barron foisonne d’idées.

Ainsi Traits, voyage sur le méridien de Greenwich fait suite à des expériences abouties concernant la télécopie. Après avoir été le maitre d’oeuvre à Caen et New-York de la Nuit Internationale de la Télécopie durant laquelle des artistes de différents points d’Europe et d’Amérique ont pu échanger leur travail, il a contribué à " Pax for Fax " projet artistique international organisé par les Télécoms Italiens en octobre 1988.

LE TELECOPIEUR DANS LE VEHICULE

Du 7 au 19 septembre 1989, Stéphan Barron et Sylvia Hansmann ont parcouru 1900 km sur le méridien de Greenwich. Partis des plages de la Manche à Villers-sur-Mer pour rejoindre Castellon de la Plana sur la côte méditerranéenne espagnole ils ont décrit en voiture, dans la mesure du possible, une ligne droite. Plusieurs fois parjour à l’aide d’un télécopieur installé dans leur véhicule ils ont envoyé des images et des textes de leur voyage dans différentes localités européennes.

Le journal du téléphone : Stéphan Barron, à quand remonte l’origine de votre projet ?

Stéphan Barron : C’est vers 1986 qu’en France a commencé à se développer l’utilisation de la télécopie comme outil d’art. Les différentes manifestations que j’ai eu l’occasion d’organiser, m’ont amené à réfléchir sur la modification de nos sensations de l’espace et du temps engendrée par les nouvelles technologies. Traits est une de ces réflexions que j’ai tenu à concrétiser.

Le journal du téléphone : Un voyage " sur " le méridien de Greenwich pouvait-il vous aider à représenter cette notion d ‘espace / temps ?

Stéphan Barron : Degré zéro de longitude, le méridien de Greenwich est la référence quasi-universelle pour le temps et l’espace. Il était donc particulièrement adapté au projet artistique que nous souhaitions mener.

Le journal du téléphone : L’espace méridien est une ligne imaginaire. Comment pouviez-vous être sûr de communiquer précisérnent du degré zéro ?

Stéphan Barron : L’ utilisation d’une carte de L’IGN au 25 000 ème permettent une précision presque parfaite. L’erreur était de moins 25 mètres.

LE MéRIDIEN PASSE SUR LA PLAGE DE CASTELLON DE LA PLANA

Le journal du téléphone : Une fois votre position trouvée, quels critères ont déterminé le choix de vos transmissions ?

Sylvia Hansmann : Malgré quelques points fixes définis dès l’étude du tracé du voyage – et vérifiés sur place – ceux choisis l’ont été très subjectivement. Pourquoi tel lieu plutôt qu’un autre, comment transmettre une idée de la réalité de l’endroit où l’on se trouve. En fait nos choix ont été ceux du hasard, de l’envie, des sensations, du plaisir. Notre interprétation du paysage, de l’environnement, du vu et du vécu a aussi été subjective. Nous transmettons toujours une réalité déformée.

Le journal du téléphone : Le voyage s’est-il déroulé selon vos espérances ?

Stéphan Barron : Traits a été mon projet le mieux préparé. Du point de vue de la technique et de l’organisation tout s’est déroulé comme prévu. Francois Labastie, notre assistant, prenait les photos et envoyait les télécopies. C’est avec la découverte des points sélectionnés sur la carte que survenait l’imprévu.

La magie des lieux va toujours au-delà de nos espérances.

Le journal du téléphone : Quel a été le meilleur moment de votre périple ?

Sylvia Hansmann : Lorsque nous sommes arrivés à Castellon de la Plana - au bout du chemin - nous avons cherché l’emplacement du méridien sur la plage. Apercevant une stèle nous nous sommes approchés. Une phrase y était gravée: " Ici passe le méridien de Greenwich ".

Le journal du téléphone : Quelles difficultés avez-vous rencontrées ?

Stéphan Barron : Bien que très stimulant, le projet s’est révélé être une véritable épreuve physique et intellectuelle. En treize jours, trente mètres de télécopies ont été envoyés dans chacune des huit localités de réception. Chaque matin une nouvelle étape de 150 km nous attendait. Trouver les points de collecte, charger et décharger le matériel, transmettre les images - 650 images en tout et surtout rester créatif, ont été nos tâches quotidiennes.

Le journal du téléphone : Quels ont été les supports utilisés?

Sylvia Hansmann : Nous avions décidé de sélectionner deux arrêts par jour. Sur place nous collections des objets, prenions des photos polaroïd, relevions des empruntes et dessinions. Le tout était ensuite retravaillé à la photocopieuse afin d’obtenir une illustration noir et blanc satisfaisante, seule image transmissible par télécopie. Puis, nous avions besoin, pour la dernière phase de préparation, d’occuper un large espace. Un vaste " échiquier " européen de huit colonnes était alors réparti sur le sol. La première colonne était destinée à Linz (Autriche), la seconde à Cologne (Allemagne), la troisième à Gérone (Espagne), la quatrième à Paris, et ainsi de suite. La transmission pouvait alors se faire.

Organiser des correspondances entre les lieux nous a beaucoup intéressés. Le hasard nous a aussi favorisés. Près de Tarbes, pratiquement sur la ligne, nous avons vu une immense affiche. Elle annoncait l’hypermarché "Le Méridien". La photographie du mot nous a permis de jouer avec les lettres. Huit consonnes et voyelles. Huit salles d’exposition. Chaque ville a recu, dans un ordre éclaté, sa lettre.

Le journal du téléphone : Pendant votre reportage avezvous eu des échos de la façon dont le public recevait vos messages ?

Stéphan Barron : Nous savions que les télécopies n’étaient pas massicotées à l’arrivée. Elles se déroulaient, occupant un espace de plus en plus important, au fur et à mesure de leurs transmissions. A Paris, le bandeau vomi par le télécopieur situé au rez-de-chaussée d’une galerie, passait par une fente pour aller envahir l’espace inférieur. Puis, cette langue en papier rebondissait en cascade sur des ossatures. Cependant à aucun moment nous n’avons été en contact avec les points d’accueil. Nous ne pouvions qu’imaginer la réaction de nos "spectateurs" et pour des artistes c’est toujours émouvant. Quant aux premiers échos recueillis à l’issu de notre expédition, nous avons appris qu’à Gérone le public se précipitait dès que le télécopieur se mettait en marche et à Cologne la même curiosité poussait les amateurs à venir suivre leur feuilleton quotidien.

Le journal du téléphone : Quel a été l’intérét d’un tel projet dans les domaines de la technologie et de l’art?

Stéphan Barron : Aucun prototype, comme je l’aurais espéré, n’a pu être utilisé. Technologiquement rien de nouveau n’a donc été apporté. En revanche, ce projet (sponsorisé par EGT, France Télécom, I’Institut Géographique National, LISP-Papeterie et OMB, le Monde du Bureau) est très novateur dans le domaine de l’art. Il introduit une nouvelle forme de représentation intégrant l’espace, le temps et l’imaginaire. Il y a eu le monde à deux dimensions puis avec la Renaissance celui à trois dimensions. Aujourd’hui est-il encore possible de raisonner de la même manière ? L’art de la communication change notre vision du monde. Traits a modestement contribué à accentuer cette évolution.

Ghilaine CHABERT

LE JOURNAL DU TELEPHONE