Stéphan Barron et le plaisir de lubiquité
Edmond Couchot
1997Considérant avec un certain nombre dartistes que la technique, fût-elle très avancée, nest pas a priori en contradiction avec lart, Stéphan Barron sintéresse essentiellement aux modes déchange interindividuels quautorisent les technologies actuelles (du téléphone classique à lInternet, en passant par le fax, la vidéo, la télématique et le multimédia), non pas pour simplement accélérer les mécanismes de la communication (plus de communication pour plus de socialité) mais pour explorer leurs limites, en sonder les menaces et les promesses, communiquer lincommunicable, ce quelque chose qui se tient fondamentalement hors de toute communication et qui relève non de linformation mais de la poésie.
Cest, en effet, ce qui semble bien apparaître à travers les expériences multiples et variées que Stephan Barron nous propose: vivre un moment intense et sensuel, qui inclinerait même vers le sublime, où la perception de lespace, des distances, du temps, se réorganise, où la conscience sélargit et sélève, dans le pur plaisir de lubiquité. Ainsi, Thaon / New York est le couplage par satellite dune énorme mégapole et dun petit village de Normandie où fusionnent dans linstant images et sons provenant de ces deux origines lointaines; Orient Express est un voyage au cours duquel lauteur visualise son déplacement le long de la voie ferrée entre Paris et Budapest en transmettant par modem des images de ce voyage; Traits renouvelle cette idée mais en visualisant, cette fois-ci, non pas le paysage mais le méridien de Greenwich, un trait abstrait et invisible réglant lhorloge de la Terre; Ozone, une réalisation qui, à loccasion du Festival International de la ville Adélaïde en Australie, établissait une liaison entre cette ville et celle de Roubaix, rend visible, ou plutôt audible, lévolution du trou dozone qui menace la planète, et la pollution par lOzone liée à la circulation automobile dans les grandes villes; tandis que Les plantes de mon jardin donne à voir à des spectateurs qui se tiennent à Prague la croissance dun minuscule jardin dans une ville française ou quEurotunnel, en projet, matérialise à la surface de la Manche le tracé souterrain du tunnel en en dispersant limage au gré des vents et des courants. Parmi toutes les uvres citées, ma préférence se porte vers deux uvres qui me semblent particulièrement exemplaires: Le bleu du ciel et surtout Autoportrait.
Autoportrait, ne donne plus à voir que la direction dans laquelle se déplace lauteur et dont la présence ne tient quà un fil (de téléphone), à un doigt métallique mais vivant pointé vers labsent.
Le Bleu du Ciel (1992-1993) est un dispositif composé de deux ordinateurs situés l'un à Tourcoing et l'autre à Toulon (dans le projet initial) et reliés par téléphone. Ces ordinateurs calculent en temps réel la moyenne électronique de la couleur de ces deux portions de ciel et la visualise sur un écran. L'installation permet au spectateur, dans chaque site, de comparer la couleur du ciel du lieu où il se tient, à travers une petite fenêtre, et la couleur du ciel moyen, résultant de la fusion des deux ciels originaires, qui n'existe en fait nulle part. Stephan Barron, rend hommage à Yves Klein, à sa manière, en mettant en contact, au-delà de la distance, deux portions de l'atmosphère terrestre et en mélangeant électroniquement le bleu de leur ciel. Dans l'esprit de l'auteur, cette installation devait contribuer à faire prendre conscience au spectateur de l'interaction du local et du planétaire et des responsabilités impliquées par le caractère ubiquitaire de la technologie. Stephan Barron invite le spectateur à jouir dun ciel intermédiaire qui nexiste que dans lespace de lordinateur mais néanmoins réel puisquil saffiche sous ses yeux.