Sur les ruines de la technologie, en avant pour le Technoromantisme.

Stéphan Barron

Artiste

Maître de Conférence - Université Paul Valery

 

L’art technoromantique est une approche critique de l’univers technologique. Mon engagement pour les arts technologiques pourrait s’analyser comme une critique de la société technologique, à moins qu’au contraire il se base sur une sublimation des nouvelles technologies. En fait la situation des artistes utilisant les nouvelles technologies est souvent paradoxale. En utilisant les nouvelles technologies serait-on complice et complaisant vis-à-vis d’elles et de tous les fantasmes d’une société déshumanisée ? On les utilise donc on les promeut. Comment les sublimer tout en les maintenant à la distance critique qui sied à toute démarche artistique ? Comment les utiliser tout en évitant le formatage technique et idéologique ? Comment rester libre face à des technologies très contraignantes ? Comment réussir à produire du sens, de l’émotion, avec des machines qui ne sont faites que pour gérer de l’information sous forme de 0 et de 1 ?

Mon propos n’est pas tellement de me situer en opposant de la société technologique, ou des technologies en général, mais plutôt de tenter de développer ma qualité humaine, de partager des émotions, dans le paysage actuel de notre société qui est informationnel, virtuel, technique mais aussi comporte plein d’autres dimensions… L’art est basé sur un projet émotionnel et philosophique. Ce projet artistique peut choisir de s’exprimer avec des outils technologiques ou avec des outils traditionnels. C’est bien quand on part d’un projet artistique qu’on est dans le domaine de l’art et non dans le domaine de l’illustration de l’univers technologique.

L’art technologique n’est parfois qu’une simple démonstration technicienne vide de contenu poétique ou intellectuel. L’approche critique est donc pour moi basée sur l’existence et la pertinence d’un projet, et ce projet s’exprime en choisissant librement ses outils. C’est en partant d’un projet intérieur, d’un projet porté par sa propre existence, que l’on peut aborder avec distance les outils technologiques. La confusion entre art et technique est caractéristique de l’art pompier, et est sous-tendue par un projet politique. Art pompier sous la dictature de Napoléon III, Dali sous Franco, socialistes réels sous le stalinisme, réalisme technologique aujourd’hui sous l’emprise globalitaire des multinationales, mais aussi sous la pression d’une vision matérialiste du monde dont chacun peut prendre sa part de responsabilité. À cette filiation académique et illustrative s’oppose une autre face de l’art : imaginative, spirituelle et romantique. L’art comme écologie du corps et de l’esprit.

Une des idées du technoromantisme c’est de fonder la démarche artistique, non pas sur une possibilité technologique qui serait en quelque sorte illustrée par l’artiste, mais sur le sens, les émotions, les sentiments… Un projet se distingue des formes académiques des arts technologiques montrés dans de nombreuses institutions. Un projet qui se démarque aussi des arts dits contemporains qui ont renversé le geste du Ready-Made pour en faire aussi à leur manière, une simple illustration de la société contemporaine, devenue société productrice de service, après avoir été société productrice d’objets. Dans l’esthétique relationnelle, par exemple, les artistes proposent comme " œuvre " des services, en devenant des sortes d’animateurs socioculturels.

Le technoromantisme est une critique d’une certaine utilisation des machines par les artistes et la société, pour la seule fascination du progrès. Le nouveau, le sensationnel, le technologique dans l’art est une métaphore du progrès pour le progrès. Les artistes pompiers illustrent une technologie de plus en plus puissante. Ils utilisent une technique surpuissante au service d’un projet poétique ou philosophique pratiquement nul. Ainsi ils ne dérangent pas l’ordre des corps et du corps social. Les artistes technoromantiques eux, aiment plutôt réduire la technologie à sa plus simple expression, à la minimiser. Même si ils utilisent des technologies puissantes, c’est pour explorer des potentialités sensitives inédites.

Le Bleu du ciel

Le bleu du ciel est une installation interactive réalisée pour la première fois en 1994, entre l’école des Beaux-Arts de Tourcoing et Toulon. Deux ordinateurs situés respectivement dans ces deux villes et reliés par téléphone, calculent en temps réel la moyenne des couleurs du ciel du Nord et du Sud. Derrière un petit monochrome, se joue un double processus interactif : intérieur avec notre psychologie, extérieur, avec la planète. Nous percevons ainsi notre relation interactive avec le ciel : la couleur du ciel joue sur notre tempérament, notre vision du monde. Notre vision du monde joue sur notre sensation de la couleur du temps. Extravertis au Sud, introvertis au Nord… Joyeux au printemps, mélancoliques " quand le ciel bas et lourd pèse comme un couvercle "… La couleur du ciel est une fiction interactive. Donner à voir cette fiction est le but de ce projet.

La beauté de ce projet réside dans ce ciel fictif, un ciel infini et ubiquiste. Ce ciel existe quelque part entre le Nord et le Sud dans l’infini du réseau téléphonique. Notre imaginaire est appelé vers cet infini. Ces monochromes vivants et imaginaires, cosmiques et en harmonie avec les ciels véritables distants de mille kilomètres, poursuivent le projet d’Yves Klein et de ses monochromes.

" Le ciel bleu est ma première œuvre d’art " disait Yves Klein. Le Bleu du ciel a, comme le souligne Pierre Restany dans son texte sur cette œuvre, de nombreuses parentés avec les monochromes d’Yves Klein. Le Bleu du ciel prolonge l’utopie sensible d’Yves Klein. L’œuvre d’Yves Klein ne peut se lire qu’à travers l’influence des arts martiaux et du zen, ou de la spiritualité orientale, point de départ de la démarche d’Yves Klein comme de la mienne. Le judo est, selon Klein, sa première expérience de l’espace spirituel. La révolution bleue d’Yves Klein peut être qualifiée de technoromantique.

Yves Klein pratiquait les exercices de visualisation d’images mentales. Le monochrome bleu est une image mentale du vide. Une tentative de matérialisation du vide cosmique. Pierre Restany souligne l’idée chère à Yves Klein d’une imprégnation universelle par la couleur. Cette imprégnation est une expérience pratique et ordinaire quand on connaît les techniques de visualisation mentale. Yves Klein fait le lien entre le ciel, le bleu et le vide. Le vide cosmique revient en permanence dans la " cosmogonie zen ". Le vide est la condition primordiale de l’esprit, condition préverbale, pré-intellectuelle. On peut rendre son esprit familier du vide par la concentration sur le corps. Les moyens de cultiver ce savoir du corps, d’atteindre ces états d’hypnose sont multiples. Par exemple les danses traditionnelles, provoquant des états de transe avaient cette fonction. On fait alors l’expérience du vide mental et du vide cosmique, lien entre l’intérieur et l’extérieur. Le vide cosmique relie tout, car il est dans tout. On fait alors l’expérience de l’unité avec la nature. Le Bleu du Ciel, comme les monochromes bleus d’Yves Klein, sont des invitations à cette fusion romantique avec l’infini.

On retrouve aussi cette perception du ciel et du bleu infini dans les œuvres de James Turrell. De la tradition quaker, secte protestante qui rejète toute idée de représentation, Turrell a gardé cette quête de la " lumière intérieure ". " L’esprit quaker est un protestantisme strict excluant l’engagement séculier, l’usage de la force ; il se définit par un idéal de tolérance très fort. Les Quakers pratiquent aussi une méditation de groupe qu’ils définissent comme " entrer en soi pour saluer la lumière "… Cette tradition se base sur une spiritualité tangible et expérimentée corporellement par chacun. Les œuvres de Turrell sont des invitations à une redéfinition de nos perceptions vers plus de tactilité. L’objectif de Turrell n’est pas purement visuel, il est surtout mental et tactile. Le corps et l’esprit sont immergés, imprégnés (Yves Klein parlait d’imprégnation dans la couleur) dans la lumière même.

Le Roden Crater est une installation réalisée dans le cratère d’un volcan dans le désert de l’Arizona. Turrell réalise sous le Roden Crater un réseau de galeries souterraines permettant d’accéder à des chambres creusées en des points déterminés du cratère. Ces chambres ou Sky Spaces donnent à voir certains fragments du ciel, le jour et la nuit. Cette démarche s’inscrit dans la continuité des " Kiva Hopi ", cavités destinées aux connexions cosmiques.

Dans l’œuvre interactive Le Bleu du Ciel, l’artiste conçoit un processus ouvert que le spectateur peut expérimenter. L’image est absente, l’artiste a aussi disparu, le dispositif conceptuel est devenu une machine qui invite le spectateur à participer aux changements de la nature.

Dans Le bleu du ciel, et comme le pense Baudrillard " c’est le réel qui est devenu notre véritable utopie ". C’est dans ce paradoxe que naît l’écologie, et que s’affirme la nécessité du technoromantisme. Une écologie minimaliste qui nous fait rechercher le vrai, l’essentiel, et donc ce qui est vital, naturel et nous fait abandonner l’artifice et l’inutile.

Le Bleu du ciel exprime un double processus interactif : l’interaction du local et du planétaire ; l’interaction de l’intérieur et de l’extérieur. Par Le bleu du ciel, le spectateur est invité à participer mentalement au processus du climat, de la nature. Il participe à l’interaction du local et du planétaire. Les machines interactives mettent en scène la comédie virtuelle de nos processus psychologiques et physiologiques, à l’œuvre dans notre perception du monde. Absorbé en Le Bleu du Ciel, le spectateur reconstitue l’enveloppe nuageuse atmosphérique, et sa conscience s’étend sur le globe.

Ozone

L’installation sonore Ozone, transforme les mesures de la couche d’Ozone en Australie, et les mesures de la pollution par l’Ozone de la pollution automobile à Lille, en sons. Ces sons sont diffusés simultanément à Adélaïde, pendant la biennale internationale de 1996 et dans les rues de Roubaix. Ozone est une des premières œuvres utilisant Internet

Ozone exprime de façon artistique et poétique le problème écologique majeur pour les Australiens du trou dans la couche d’ozone. Un paradoxe est apparent pour le problème de l’ozone : produit en trop grande quantité par les voitures dans les villes, il est par contre en déficit au niveau de la stratosphère et provoque en Australie une augmentation inquiétante des cancers de la peau. En Australie, l’ozone devient un phénomène de société tangible, alors qu’il concerne peu les pays de l’hémisphère nord. Les enfants australiens apprennent à l’école à se protéger du soleil. Dans son texte sur le projet Ozone, Paul Brown, théoricien australien des nouvelles technologies, parle de l’arrogance coloniale des nations du " First World ", l’Europe, face aux nations de l’hémisphère sud. L’ozone est un enjeu planétaire.

Le projet exprime aussi l’immatérialité et la complexité des phénomènes auxquels l’homme contemporain est confronté. L’ozone, les ultraviolets sont des facteurs de phénomènes complexes où la physiologie humaine interagit avec le climat, où la survie planétaire interagit avec le développement économique.

L’ozone est impalpable, et finalement un " objet immatériel " lié à l’information aux mains des médias, des hommes politiques et des experts. La désinformation doit nous enseigner à reprendre notre faculté de juger, à développer notre conscience et notre responsabilité. Ce que nous faisons, nous le savons. Le décalage temporel et spatial entre nos actions (utilisation de tel réfrigérateur, de l’automobile) et leurs conséquences doivent nous enseigner un principe de précaution, de retenue.

Il nous apparaît de plus en plus que nos destins et nos gestes sont liés avec ceux de tous les humains, même situés aux antipodes. Une solidarité, une conscience de l’interdépendance planétaire s’élabore peu à peu. La beauté, la poésie de la distance est essentielle, elle nous permet de redimensionner nos consciences. Ozone exprime ce mélange d’inquiétude et d’émerveillement devant l’interdépendance des phénomènes terrestres.

Ozone exprime l’interdépendance géographique, la poétique de l’ubiquité, la sensualité de la distance. Beauté de la présence à distance : ma conscience est partagée entre ici et ailleurs, entre moi et l’autre. Je participe du lointain. Sensualité de la distance : la perte de vue réorganise notre perception, exacerbe notre sensualité auditive. Cette perte de vue est source d’imaginaire.

Pour Ozone, j’ai longtemps cherché si un institut scientifique, ou un organisme mesurait des données de l’ozone ou des ultraviolets B, pour les diffuser sur Internet. Cet organisme aurait pu se situer n’importe où sur la planète, puisque l’accès à Internet est totalement délocalisé.

L’installation est un instrument virtuel que l’on ne touche plus, qui est actionné à distance par des facteurs impalpables, résultant pourtant d’une interaction complexe entre l’homme et le monde. Cette installation joue le rôle métaphorique d’une " pompe à ozone " entre l’ozone de la pollution et l’ozone naturel, entre l’Europe et l’Australie, entre l’homme et la nature. Cette idée métaphorique et poétique prolonge des œuvres inspirées en leur temps par les machines industrielles dans des œuvres comme celle de Duchamp (Machines Célibataires), de Beuys (Pompe à Miel) ou Tinguely (Métamatics). Dans le projet Ozone, ce sont d’autres machines (de télécommunication et d’analyse d’information) qui sont mises au service d’une vision du monde postindustriel.

Cette musique est élaborée sans l’intervention humaine par l’activité planétaire humaine (pollution citadine qui dégage de l’ozone) et par l’interaction avec la nature (la couche d’ozone naturelle et le soleil).

Ozone rend tangible l’infiniment grand de la nature, et notre terrible pouvoir sur elle. Les deux sensations sont maintenant indissociables. Les " gouttes sonores " discrètes d’Ozone sont autant de petits signes, qui nous appellent à la présence. Notre présence dans la relation au monde et à nous-mêmes, notre présence à un univers qui dépasse notre entendement. Nous devons être à l’écoute du monde.

Dans Ozone, chaque son nous fait basculer d’un antipode à l’autre. Mouvement vibratoire de 20 000 kilomètres d’amplitude. Les sons des gaz d’échappement de Lille, répondent aux sons de l’atmosphère trouée. Interactions entre l’homme, l’air et le soleil. Le réseau et la noosphère. Interdépendances planétaires.

Com_post

Com_post est en 2000 un compost planétaire " en réseau ". Ozone utilisait Internet, mais volontairement inaccessible " en ligne ". L’aura de l’œuvre nécessitait un décalage ave l’usage habituel de cette technique. Dans Ozone, la réalité de l’installation donnait une tactilité à la dimension planétaire de l’œuvre.

Vous pouvez envoyer un texte à ce compost, il vous sera renvoyé chaque semaine pendant trois mois de plus en plus décomposé, composté. L’expédition du courriel peut se faire soit à partir du site http://www.com-post.org, la décomposition vous est renvoyée à l’adresse mail que vous indiquez sur le site, soit à partir de n'importe quelle messagerie à une adresse de type : prenom.nom@com-post.org et la décomposition vous est renvoyée à l’adresse mail de votre boîte d’envoi.

Le texte que vous envoyez est lisible aussitôt en ligne. Il rejoint l’ensemble des messages déjà envoyés qui sont affichés dans l’état de décomposition actuel. Un roulement au hasard des textes décomposés est opéré, ainsi tous les messages ne sont pas forcément affichés...

Mettre un compost sur Internet c’est faire l’éloge de la lenteur à une époque de l’instantanéité ; c’est aussi faire l’éloge du petit, du microscopique dans un monde relié, interdépendant.

L’utopie de Com_post est l’utopie de l’art. On sait où nous ont mené les utopies massifiantes qu’elles soient marxistes ou fascistes. L’utopie technoromantique de Com_post est tout autre. Il s’agit d’une utopie de l’art, une utopie basée sur une compréhension métaphysique de l’esprit. Cette utopie concrète se construit dans un rapport au monde et au corps fondé sur une prise de conscience individuelle, et surtout par l’action quotidienne de chacun. Rien n’est imposé de l’extérieur de l’un à l’autre, mais plutôt proposé, suggéré. Tout vient alors de l’intérieur de soi à soi, naturellement, inconsciemment. Com_post invite à un abandon de l’ego. Abandonner les mots, les paroles, les théories, les laisser se décomposer. Interagir et mourir. La transformation du monde passe par la transformation de soi, la transformation de soi passe par un changement spirituel. " S’accrocher mentalement à des " idéaux " – qui s’avèrent n’être en fait que de pures projections de notre ressentiment et de notre impression d’être des victimes – ne fera jamais avancer notre projet ". Com_post est en quelque sorte une Zone Autonome Temporaire. La TAZ est une zone de liberté ici et maintenant qui échappe aux pouvoirs technocratiques et n’a pas l’intention de s’y substituer. " La TAZ est comme une insurrection sans engagement direct contre l’État, une opération de guérilla qui libère une zone (de terrain, de temps, d’imagination) puis se dissout, avant que l’État ne l’écrase, pour se reformer ailleurs dans le temps ou l’espace ". L’art, la fête, la perturbation électronique, la méditation, les systèmes d’échanges locaux, sont autant de moyens pour des chaos temporaires et non-violents synonymes de vraie vie, d’écologie spirituelle et corporelle, individuelle ou collective. Autant de bulles inaccessibles aux idéologues et aux névrosés du pouvoir. " Il n’y a pas de devenir, pas de révolution, pas de lutte, pas de chemin tout tracé : déjà tu es monarque et règnes sur ta propre peau – ton inviolable liberté n’attend pour être complète que l’amour d’autres monarques : une politique du rêve, aussi urgente que le bleu du ciel ".

Com_post invite à une libération. Il invite chacun à mettre à distance – par la destruction progressive, inéluctable et simulée – ce qui nous embarrasse perpétuellement l’esprit : les mots, les idées. De plus en plus envahi par le brouhaha textuel et informationnel, Com_post invite à une hygiène de l’esprit. Ce que j’aime, ce que je n’aime pas : transitoire. Tout sera détruit, effacé, recyclé.

Com_post est une apologie du recyclage comme technologie organique et cyclique, technologie de l’intelligence et de la responsabilité, du lien au monde naturel et artificiel. Recyclage comme mouvement perpétuel et naturel des choses. Nos mots, nos paroles, comme notre corps se désagrègent, se renouvellent, disparaissent pour réapparaître sous d’autres formes. Com_post est une œuvre en mouvement qui change à chaque instant. " La nature n’est pas belle parce qu’elle est belle, disait Cage, elle est belle parce qu’elle change ". Comme dans les processus naturels, Com_post, n’est jamais la même.

Com_post fait l’éloge du quotidien, du geste individuel et relié au collectif. Dans Com_post, chacun s'adresse à soi-même et à tout le monde mais de façon anonyme. Notre inconscient est ainsi : secret, inviolable, mais aussi en réseau avec les autres inconscients. Com_post figure notre créativité partagée, un don au monde du meilleur de nous-même, ou du pire, mais qui est en même temps appelé à devenir un déchet...

Com_post est une poésie visuelle. Cut-up, déconstruction du langage : les mots ne restent pas ; ils coulent, interagissent comme des particules. Les restes des mots... Les mots sont recyclés en lettres, pour faire d’autres mots. Les idées poétiques, les idées banales, les haines, les amours, les utopies, les textes de toutes natures... Tout sera décomposté. Comme nous !

Com_post nous rappelle à l’urgence du temps qui passe, et dont l’irréversibilité est purement virtuelle. Notre réincarnation est virtuelle. Notre existence sur la Terre est transitoire, chaque jour nous déconstruit et nous approche de notre fin : début peut-être d’une autre existence qui nous est étrange et étrangère. Sous quelle forme serons-nous recyclés ? Nos molécules nourriront les plantes, les vers, comme les lettres nourrissent les vers. Notre esprit, qu’est-il : des mots, des idées, ou une autre réalité obscurcie par les concepts et leurs multiples interactions ?

Milliers de liens. Com_post tisse ses liens comme notre esprit se relie inconsciemment aux autres esprits, nos mots aux autres mots, notre corps aux autres corps.

Visuellement le site Com_post est à la limite du visible : noir et terre sombre. Cette couleur sombre, à la limite du visible, est la couleur du compost. Elle renvoie à notre obscurité.

Com_post apporte beaucoup de joie, on y voit des messages qui témoignent d'une belle part de poésie, d'ironie, de culture, d’intelligence qui est à la fois en chacun de nous, et communicable entre nous tous. " Pour la zone autonome temporaire, la technologie est comme cet éventail de papier zen, qui devient d’abord un ventilateur " puis une pelle à tarte, et finalement une brise silencieuse ". Com_post n’est pas une fin en soi, il est une métaphore. Il nous montre le spectacle de notre propre aliénation aux machines et au réseau. Œuvre d’art, elle ne peut-être qu’une invitation à une autre présence, réelle cette fois.

Conclusion

La question que se pose les technoromantiques est : jusqu’où peut-on réduire la technique ? Peut-on se passer de la technologie ? Comment rendre la machine transparente ? Quel est mon projet et comment puis-je utiliser la machine plutôt que de me laisser entraîner par sa prétendue puissance ?

Ces artistes sont des adeptes d’une certaine résistance, d’une vision du monde où les humains ont inventé les machines pour libérer du temps pour la liberté des corps et des esprits, et non inventé des machines pour visser le corps sur une chaise, ou pour mieux dominer les autres.

Les artistes technoromantiques, adeptes de la nullité, du dérisoire, du diaphane, du presque rien, seraient des maîtres zens, près à jeter l’écran par la fenêtre, ou à récupérer des machines dans les poubelles. Les technoromantiques aiment les ruines de la technologie. Comme leurs cousins les hackers, ils aiment perturber le langage des systèmes et tous les langages, tous les signes. Si les ruines n’existent pas, ils les inventent. Les technoromantiques rejoignent ces désirs libertaires de jouissance collective. Les ruines de la technologie sont les ruines de ces châteaux théoriques, réels ou virtuels de la société dite de communication. Les ruines de la technologie sont ces ordinateurs déjà dépassés, ces ordinateurs dont on peut se passer et dont on a le sentiment de la vanité. Les ruines de la technologie sont ces parcours romantiques, pleins d’ironie et de paix de l’âme, dans un paysage technologique qui n’est pas fait pour l’homme, mais que les artistes détournent, ruinent, dynamitent, caressent, peuplent de lianes et d’herbes folles.